Pensées depuis Antanimora

Est-ce normal que le temps se compresse autant quand on est loin de chez soi? Où est-ce juste quand les évènements sont frénétiques que l’on perd tout ancrage temporel? Les premières semaines passées à Antananarivo sont déjà des souvenirs confus. Il y aura un moment où je reprendrais mes notes, et peut-être cela démêlera la confusion. Ou peut-être pas. Est-ce que cela importe?

Ces questionnements sont bien éloignés de ce que vivent la plupart des gens ici. Au calme, le ventre plein, dans mon confortable appartement d’Antanimora, éclairé à la bougie par souci de panache, je me demande quelle sorte d’énergumène je suis pour me perdre autant dans mes labyrinthes cérébraux.

Vue depuis la chambre.

Je passe mes journées à essayer de faire sens, à manipuler des théories, à élaborer des hypothèses, à avoir le vertige au bord de l’univers infini et sans cesse grandissant de la connaissance. Je passe mes journées à écrire des mots, à les énoncer avec plus ou moins d’adresse dans le but de convaincre. Convaincre qui?

Et qu’est-ce que je produis réellement? Pour un doctorant en géographie économique, il est intrigant de se voir comme au sommet d’une pyramide où l’on jouit de la sueur des autres. Dans les moments les plus triviaux de nos existences, nous nous réduisons à notre position dans la chaîne mondiale de production. Pour qu’il y ait un “intelectuel” à nourrir, il faut les bras des nourrissants. Pour qu’il y ait des armées entières d’individus dont la principale activité de subsistance est de tapoter sur un clavier (et je ne crois pas me tromper si je dis que c’est un nombre toujours croissant de personnes en Europe), il faut d’autres armées qui produisent nourriture, textile, qui manufacturent, qui extraient des ressources…

Une des raisons de mon voyage à Madagasikara est d’élucider les aspects contemporains de la réalité de la division internationale du travail. Quand toute une civilisation se porte vers de nouvelles technologies, qu’est-ce que cela implique pour les pays où ses ressources sont extraites?

À défaut d’être du côté de la sueur, a minima je tente de ne pas me dédouaner par la complexification d’une posture morale. Et a maxima, je me rappelle le discours de Camus lors de son nobel où il remet l’intellectuel à sa place :

« L’artiste se forge dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. »

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NH

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